Rencontre avec Eric Sadin, philosophe spécialiste de l’évolution de nos rapports au numérique.
Ecrivain et philosophe, Eric Sadin est l’un des rares intellectuels français à penser le changement de civilisation induit par la numérisation de notre monde. Son dernier livre, l’Humanité augmentée (1), a reçu le prix de l’«essai le plus influent de l’année sur le digital» au Hub Forum 2013. Il y évoque la naissance d’un homme-interface connecté à une intelligence artificielle ambiante…
Via Mlik Sahib, luiy
"C’est évident. Sans forcément apprendre à coder, nous devons assimiler le langage des machines et savoir ce qui passe dans la boîte noire des systèmes. Où vont les données ? Qu’est-ce qu’un algorithme ? Comment fonctionne le back-office ? Il est fascinant de constater que plus l’interface homme-machine se simplifie, plus l’ergonomie devient fluide, plus la machinerie qui se cache derrière l’écran devient complexe et insondable. Dans ces immenses lieux de mémorisation des comportements que sont les data-centers [centres de stockage de données, ndlr], c’est le règne de l’opacité, et le citoyen est totalement absent. Or, c’est par la connaissance des choses que nous resterons libres de nos choix face cette nouvelle forme de souveraineté technologique. C’est l’apprentissage d’une conscience active à l’égard de notre environnement numérique qui devrait être enseigné dès maintenant à l’école."
Oui et non. Google s’inscrit dans ce courant transhumaniste qui consiste à vouloir augmenter l’humanité, à réparer nos déficiences originelles, à améliorer nos capacités physiques et cognitives. Pour Google, Apple, IBM et les autres, il ne s’agit pas de nous dominer façon Big Brother, mais de monétiser la maîtrise technologique en privilégiant la conception d’agents intelligents. Il faut se défaire une fois pour toutes de l’opposition binaire entre technophiles et technophobes. Le temps est à la complexité. Il s’agit aujourd’hui de saisir, dans chacune des situations nouvelles, les perspectives qui s’ouvrent autant que les risques qui pointent. C’est ce travail de «cartographie multicouche» que je m’efforce de développer dans mes livres.